Septembre 2021 – « Le Paysan »
Après "l'Atelier idéal" en août, le tableau de septembre nous fait passer du monde du rêve à celui du travail, avec "le Paysan", peint en 1938, une autre allégorie.
Edgar Mélik, Le Paysan, HST, 1938, 73 x 60 cm, collection particulière

Cette figure massive, Mélik l’aura gardée toute sa vie accrochée au mur de sa chambre, au château de Cabriès. Elle appartient à cette seconde période de sa peinture où l’être humain flotte souvent dans d’amples vêtements dont les surfaces forment la composition même du tableau (voir aussi le Bouddha, collection du musée, l’Atelier idéal ou Tête marocaine, collections particulières). Pour mieux souligner la force de la structure et la distorsion savante qu’elle impose au sujet, Mélik se limite aux ocres, excluant la couleur pour valoriser l’infinie subtilité de cette gamme.

La surface de la toile est envahie par un vêtement à la fois rustique et somptueux qui déborde les quatre limites. D’où une composition extrêmement simplifiée du vêtement traité à partir de ses éléments articulés autour de lignes noires. Les parties du corps ont disparu au profit de surfaces qu’on imagine rudes au toucher. Le Paysan porte une surveste sans manches qui ajoute ses lignes souples et ses reflets rouges aux couleurs terre>.

L’espace une fois plein, Mélik a refusé de troubler ce monolithe, et sa signature se trouve au dos du tableau, cas à peu près unique !

Deux aspects font la singularité de cette composition. Les jambes solidement plantées sur le sol dessinent un « paysage abstrait » : un rectangle verticalisé et noir symbolise un champ travaillé jusqu’à la ligne d’horizon, base d’un triangle envahi par la lumière (aurore ou crépuscule). Mélik inscrit à sa façon l’infini dans ce motif de la Tradition (Millet et Van Gogh par exemple). Créer un point de fuite dans la découpe d’un personnage (debout ou assis) se retrouve dans une autre composition de Mélik, un peu antérieure, L’enfant assis , (HSB, 25 x 37 cm, catalogue, p. 17).

L’autre réussite de la toile, c’est la finesse humaine qui se dégage de cette forme massive. D’abord les mains qui émergent à peine des manches du manteau épais. Elles se rejoignent pour un geste qui reste énigmatique, comme toujours chez Mélik (geste du semeur ou mains qui se réchauffent par une matinée terriblement froide). La silhouette manifestement penchée vers l’avant impose sa distorsion au chapeau dont le bord cache le haut de la tête réduite à un petit triangle où se concentre toute l’humanité. On distingue à peine les yeux mais le reste du visage est extrêmement délicat.

Ce n’est pas la seule toile de Mélik qui évoque l’Homme pris dans sa vie quotidienne (variations autour des femmes au lavoir par exemple). Mais ici Mélik crée, avec cette oeuvre unique dans sa production, un symbole universel à partir du labeur agricole. Ce n’est pas un portrait mais une expression émouvante de la condition humaine.

Mélik n’a guère fait d’autres incursions dans le monde rural, sauf une petite oeuvre remarquable (Cf illustration ci-dessous). Même si la facture est totalement différente (dessins et couleurs fusionnent presque dans l’informel), on comprend que la posture de l’homme penché à gauche a préparé la grande composition.

Mélik, Trois personnages au champ, 21 x 30 cm, crayon et huile sur papier, collection particulière

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